La Mirabelle Rouge

Contre réforme Woerth- Sarko: un refus offensif pour nos retraites

Sur la réforme des retraites, un renoncement peut en cacher un autre

 

Dans Le Monde du 9 septembre, une vingtaine de personnalités, intellectuellement marquées à gauche, publient une tribune affirmant qu'"une autre réforme des retraites est possible". Nous leur donnons entièrement raison. Après six mois de faux débats, ponctués d'inusables contrevérités du gouvernement pour tromper l'opinion et de propos destinés à rassurer les marchés financiers, la vérité se dévoile peu à peu. Le projet de loi abaissera considérablement le niveau des pensions, parce que peu de salariés pourront cotiser pendant quarante-et-un ou quarante-deux ans.

 

Il pénalisera encore davantage qu'elles ne le sont aujourd'hui les femmes, dont les carrières sont morcelées et précaires, les jeunes qui entrent tardivement dans l'emploi, tous ceux et celles qui auront commencé à travailler avant 18 ans et qui devront cotiser au moins quarante-quatre ans ou bien qui auront exercé des métiers pénibles dont la reconnaissance légale est refusée. Toutes ces dégradations proviendront essentiellement du recul des deux âges légaux de départ à la retraite et de l'allongement de la durée de cotisation. Le gouvernement ne s'y est pas trompé : il a lui-même désigné les "fondamentaux" de son projet.

Une autre réforme est donc nécessaire et aussi possible. Mais laquelle ? Assurément pas une réforme instituant un système de retraite à deux vitesses, comme le proposent les auteurs de la tribune citée ci-dessus. Au nom de la justice, ils distinguent un "volet contributif financé par des cotisations sociales" qui symboliserait le fait que "la pension de retraite est partie intégrante du contrat salarial" et un "volet solidaire, financé par une fiscalité plus progressive", qui constituerait un "revenu de citoyenneté". Cette proposition soulève au moins deux objections fondamentales.

 

La première porte sur l'acceptation de l'allongement de la durée du travail. Nos auteurs expliquent que "le nouveau système devra prendre en compte l'augmentation progressive de l'espérance de vie, à la fois par l'augmentation de la durée de cotisation et, si nécessaire, des taux de cotisation". D'abord, les auteurs déplorent le relèvement de l'âge de la retraite à 62 ans, ensuite ils en acceptent le corollaire, le fait de travailler plus longtemps. On aura beau habiller cette contrainte de la "liberté de choix" ou de la "retraite à la carte", le résultat sera le suivant : soit condamner les salariés au travail forcé, soit baisser le montant de la pension s'ils n'ont pas la durée de cotisation requise, abandonnant ainsi l'idée que les gains de productivité futurs puissent être utilisés en partie pour réduire le temps de travail.

La deuxième objection renvoie à la séparation entre une retraite dont le fondement serait contributif et une retraite d'assistance. Elle revient à aggraver considérablement la coupure entre les retraités dont les droits expriment la continuité de leur salaire et les retraités dont la vie (la survie) ne devrait qu'à la bienveillance de la collectivité. Il s'agit dans cette conception de faire en sorte que la pension reflète le plus possible ce que le salarié aura versé durant sa vie active, et rien de plus.

C'est une rupture fondamentale avec la logique profonde de la répartition qui permet, sous certaines conditions d'âge et de cotisation, de garantir un niveau de pension connu à l'avance, et qui prolonge le salaire en maintenant sensiblement le niveau de vie acquis pendant la vie active. Le principe même du contrat salarial, qui fait de la pension une continuation du salaire par la socialisation de la masse salariale que permettent les cotisations, serait ainsi vidé de sa substance par le renforcement de la contributivité. Et la redistribution des revenus assurée par le régime par répartition, même si elle est insuffisante, disparaîtrait.

Les auteurs indiquent ainsi vouloir prendre en compte pour le calcul de la retraite l'ensemble de la carrière des salariés pour "supprimer la pénalisation dont sont aujourd'hui victimes les salariés aux carrières longues et aux faibles progressions". L'argument laisse songeur. En effet, même pour un salarié dont la carrière progresse peu, prendre en compte l'ensemble de la carrière, au lieu des meilleures années, aboutit à une baisse du niveau de la pension, cette baisse étant d'autant plus forte que le déroulement de carrière est important. Au nom d'une réduction des inégalités, on ramène tout le monde vers le bas !

Cette conception accepte finalement une société où le chômage et la précarité sont installés de façon pérenne et où une fraction significative du salariat, notamment les femmes, ne pourra plus avoir accès à un emploi décent, à temps complet, avec une évolution de carrière significative, permettant d'accéder à une retraite correcte. Le volet non contributif de la retraite ne serait alors que le masque d'une nouvelle "loi sur les pauvres" destinée à atténuer les méfaits d'un capitalisme débridé.

Il y a derrière tout cela un oubli fondamental. Ce que ne disent jamais nos auteurs, c'est que, au fond de l'affaire des retraites, figure la question de la répartition de la richesse produite. Celle-ci s'est dégradée pour les travailleurs depuis trois décennies dans une proportion équivalente à l'envolée des dividendes : 5 points de pourcentage si l'on compare la situation actuelle à celle d'avant 1973 (cf. "Le rapport Cotis", 2009). Nous affirmer, reprenant l'antienne patronale et gouvernementale, que, "si nous vivons plus longtemps, il faut travailler plus longtemps", masque le problème essentiel de la répartition entre travail et capital, qui reste la pierre d'angle de l'évolution du capitalisme contemporain, et dont, pour notre part, nous voulons inverser l'évolution en soumettant à cotisations les dividendes versés aux actionnaires et tous les profits financiers.

Il y a une cohérence dans les propositions que nous critiquons ici. Travailler plus longtemps malgré les gains de productivité et le chômage, individualiser la condition des salariés et des retraités, au risque de vider de son contenu la notion de droit, et dissoudre le lien social permis par la socialisation d'une partie de la richesse sont le paravent du refus de poser dans le débat public l'enjeu fondamental du débat sur le financement des retraites : ce financement ne devient un problème que si on fige dans l'avenir la répartition du gâteau qui a prévalu depuis l'avènement du capitalisme financiarisé. Et, derrière cet enjeu, s'en profilent d'autres : est-on condamné à travailler toujours davantage, au mépris de notre condition humaine et de l'équilibre écologique et ne peut-il exister un temps de la vie hors de toute subordination dont la place croissante donnerait un nouveau sens au progrès ?

Alors que la confrontation actuelle sur les retraites n'est pas terminée parce que la population est majoritairement hostile au projet du gouvernement, il vaut mieux éviter de préparer des renoncements futurs, porteurs de nouvelles régressions sociales.

 


Gérard Filoche, inspecteur du travail ;
Jean-Marie Harribey
, économiste ;
Pierre Khalfa
, porte-parole de Solidaires ;
Frédéric Lebaron
, professeur de sociologie, membre de l'Institut universitaire de France ;
Christiane Marty
, ingénieure ;
Gérard Mauger
, sociologue, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ;
Willy Pelletier
, sociologue, Fondation Copernic;
Dominique Plihon
, professeur d'économie à Paris-XIII ;
Henri Sterdyniak
, directeur du département d'économie à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) ;
Aurélie Trouvé
, économiste, coprésidente d'Attac. 

 

Tribune publiée dans le Monde (22.09.2010)

 



22/09/2010
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