La Mirabelle Rouge

Grèce: entretien avec le leader Syriza

 

 

Alexis Tsipras est le leader de la Syriza, la gauche radicale grecque – un parti fondé en 2004 à partir de différentes formations d'extrême gauche, dont le parti qu'il préside, le Synaspismos. Cette coalition avait obtenu neuf députés au parlement en octobre 2009.

Quelle alternative proposez-vous en Grèce ?

La question n'est pas une politique alternative en Grèce, mais une politique alternative en Europe. Très tôt, on a vu que c'était une crise systémique liée à l'architecture de l'euro. Or la façon dont on a affronté cette crise, en Grèce, était probablement ce qu'on pouvait faire de pire: quand on a un problème de dette publique, on ne peut pas le résoudre en s'endettant encore davantage, et en exigeant en même temps de l'économie qu'elle s'arrête de fonctionner… Pour venir à bout de ses dettes, il faut au contraire produire afin de dégager des excédents pour rembourser. Je suis donc pour un règlement de la dette à un niveau européen et pour une politique de relance en Grèce pour contrer la récession.

Le gouvernement grec devrait en outre s'engager très rapidement dans un programme de redistribution des richesses. Un exemple: en ce moment, dans les banques suisses, d'après certains rapports, il y a plus de 600 milliards d'euros d'argent grec – c'est presque deux fois la dette publique du pays – soit sortis par les banques grecques, soit placés directement par les particuliers à l'étranger. Il y a donc de la richesse… mais elle n'est pas soumise à l'impôt.

Comment peut-on remédier à cela ?

Notre proposition est la suivante: que chacun, en Grèce, soit obligé de faire une déclaration qui comprend tous ses biens, ses propriétés immobilières, mais aussi ses dépôts dans les banques nationales et étrangères, et ses capitaux mobiliers. Aujourd'hui, le contribuable n'a pas cette obligation. Bien entendu, vous allez me dire: qu'est-ce qui peut l'empêcher de faire une déclaration mensongère? Il faut mettre en place des règles très strictes. Par exemple, si quelqu'un se fait prendre en ayant fait une fausse déclaration, il faut qu'il soit menacé de se voir confisquer ses biens. Jusqu'à présent, le système fiscal en Grèce est resté un système injuste et inégalitaire.

Autre piste que nous proposons: une cotisation exceptionnelle des armateurs. Vous savez que la Grèce possède la plus grande flotte commerciale au monde. Savez-vous à quelle hauteur les armateurs grecs contribuent aux caisses publiques dans une période si difficile pour notre pays? Moins que les immigrés quand ils doivent payer pour leur carte de séjour! Les armateurs bénéficient de 58 abattements fiscaux différents. Il faut absolument exercer une pression là-dessus et changer la législation.

Vous êtes donc partisan d'une profonde réforme fiscale, et d'une solution européenne à la dette grecque. Vous êtes donc favorable au maintien de la Grèce dans la zone euro ?

Oui, je ne crois pas qu'il puisse y avoir une solution politique en dehors de l'euro. Je crois cependant que la Grèce ou tout autre pays qui voit reculer ses droits souverains et les intérêts de son peuple a le droit et le devoir de défendre son intérêt national, même sous la menace de l'effondrement de l'euro.

En réalité, on se dirige vers l'autre extrême: l'euro est menacé à cause de l'obstination de l'Allemagne à mener cette politique d'austérité. S'il n'y a pas un changement dans l'architecture de l'euro, c'est-à-dire si l'on ne donne pas la possibilité à la Banque centrale européenne d'émettre de la monnaie et de constituer un refuge pour les besoins d'emprunts des pays qui affrontent des problèmes, alors l'euro ne survivra pas.

Et peut-être que l'Allemagne sera le premier pays à quitter l'euro… Or si un pays quitte la zone euro, la zone euro s'effondrera.

Quels rapprochements envisagez-vous avec les autres formations de la gauche européenne ?

Je suis le vice-président du Parti de la gauche européenne, le président étant Pierre Laurent, le secrétaire national du Parti communiste français. Nous sommes en contact régulier, il y a une semaine encore nous nous sommes vus pour discuter des développements après les décisions du sommet de Bruxelles. Je suis aussi proche de Jean-Luc Mélenchon – j'espère qu'il va obtenir un bon score à l'élection présidentielle.

Le parti de la gauche européenne a déposé il y a quelque temps une série de propositions alternatives pour faire face à la crise. Tout d'abord, nous prônons une refondation de la zone euro et de l'euro, nous voulons changer les critères de stabilité: non plus le déficit, la dette, et l'inflation, mais le développement – il faut qu'une économie soit obligée d'avoir des chiffres positifs de croissance –, un chômage le plus bas possible, et une balance des paiements équilibrée entre les importations et les exportations. Afin que l'on ne tombe pas dans ce grand dumping entre les pays du Nord et les pays du Sud, où les avantages du Nord sont les carences du Sud.

Notre deuxième axe, c'est le rôle de la Banque centrale européenne. Il n'y a nulle part au monde une économie avec une monnaie unique et une politique monétaire commune, sans banque centrale qui puisse financer et imprimer de l'argent… Enfin, troisième axe: il faut un budget européen, généreux, afin de financer la croissance. Une caisse communautaire peut être financée par les pays en fonction de leurs capacités.

En Grèce, pourtant, vous n'avez pas réussi à constituer un “front de gauche” et vous irez probablement en rangs dispersés aux élections anticipées, pourquoi ?

C'est une question qui nous tourmente nous-mêmes. Or toutes les enquêtes d'opinion montrent que si l'on avait en Grèce un front de gauche, il deviendrait certainement la première force politique du pays. Mais au sein du parti communiste, c'est la tendance orthodoxe qui domine, qui dit que toute collaboration avec les partis voisins est compromission…

La Grèce a malheureusement cette particularité d'une gauche très forte, mais une gauche qui, embourbée dans des oppositions d'une autre époque, ne peut pas s'entendre et travailler ensemble. Cela dit, je pense que plus le temps passe, plus les membres du parti communiste changent et exercent une pression sur la direction. Car aujourd'hui, le risque n'est pas de voir l'autre recueillir plus de voix et élire plus de députés…

La question est de savoir si l'on peut mettre un frein à une attaque barbare! La seule façon de s'opposer à cette attaque, c'est d'unir les forces de gauche.

 

Dernièrement, vous avez tendu la main au parti communiste. Que leur avez-vous proposé ?

Nous avons proposé une action commune pour faire front par exemple au nouvel impôt immobilier qui vient d'être mis en place, et créer la possibilité, pour les gens qui ne peuvent pas le payer, de ne pas le payer. Nous avons proposé aussi un front commun pour s'opposer aux licenciements dans le secteur public, et nous avons proposé un dialogue afin de se mettre d'accord sur un programme commun minimum dans le but d'agir de manière groupée au moment des élections.

Si nous étions ensemble, nous serions les vainqueurs du scrutin et pourrions arriver au pouvoir. C'est dommage de laisser cela à M. Samaras, le leader de Nouvelle Démocratie (parti de droite)… lequel, sans aucun doute, va poursuivre la cure d'austérité. Mais nous n'arrivons pas à nous entendre car le parti communiste veut d'abord que l'on soit d'accord sur le socialisme que l'on appliquera une fois au pouvoir, avant d'aller ensemble aux élections. C'est une position absurde et intransigeante.

N'est-ce pas tout de même étrange que la gauche grecque, qui attendait la crise du capitalisme depuis si longtemps, n'arrive pas à s'unir maintenant qu'elle a lieu ?

À vrai dire, ce n'est pas que la gauche attendait la crise du capitalisme – nous ne sommes pas malveillants –, simplement, la gauche l'avait prédite! Je dois ajouter qu'à chaque effondrement historique, la gauche n'a jamais gagné, elle gagne plutôt quand la société prend conscience qu'il y a une possibilité de changement dans l'organisation sociale. Lors de la crise de 1929, par exemple, ce n'est pas la gauche qui a gagné en Europe, mais le fascisme. L'histoire donne raison à la gauche aujourd'hui, car elle avait prédit que le capitalisme était un système si injuste qu'il allait se détruire lui-même, mais pour que la gauche retrouve son hégémonie, cela ne suffit pas de dire que l'on avait raison, il faut que l'on donne aussi des solutions… et que l'on arrive à convaincre. Cela demande un peu de temps.

En raison de sa politique d'austérité, le Pasok a définitivement perdu un large soutien dans l'électorat. D'un autre côté, abstention et indécision dominent… Comment espérez-vous capitaliser ces voix ?

Le Pasok est confronté à un problème existentiel. Car avec cette politique qu'il a mise en place, il a cessé de représenter une grande partie des catégories sociales qu'il incarnait jusqu'alors: les classes moyennes, qui ne voient plus aucune raison de soutenir le Pasok car il ne porte plus du tout leurs intérêts. Cette dissolution du Pasok, c'est aussi la décomposition de la société – et on voit la même chose du côté de Nouvelle Démocratie, qui ne représente plus non plus les intérêts des classes moyennes.

Nous avons là une occasion réelle pour la gauche de parler avec ces gens, de les représenter: nous devons saisir cette chance. Nous représentons les travailleurs, les foyers aux revenus moyens, les citoyens non privilégiés. Nous leur parlons donc d'une société plus juste, d'une économie des besoins – et non des marchés –, nous disons que les hommes doivent être au-dessus des profits, qu'il peut y avoir une plus juste répartition de la richesse et que chacun a le droit de vivre dignement, d'avoir accès aux biens fondamentaux, tels l'électricité, le travail, l'éducation… des choses qui il y a quinze ans étaient peut-être évidentes, mais qui malheureusement ne le sont plus aujourd'hui.

L'extrême droite est entrée dans le gouvernement grec. Ne craignez-vous pas de perdre du poids tandis qu'elle va gagner en légitimité ?

Je n'ai pas peur de Karatzaféris (le leader de l'extrême droite), c'est quelqu'un qui retourne sa veste en permanence… Il est vrai que l'extrême droite constitue un danger dans la mesure où la crise peut la renforcer. Elle vient même piquer des slogans à la gauche… Je pense que la seule possibilité de constituer un bouclier face à cette politique démagogique, c'est d'expliquer aux gens qu'au cœur de la pensée de gauche, il y a l'humanisme, à l'inverse du cœur de l'extrême droite qui est l'intolérance, la peur de son prochain, et en aucun cas la solidarité. Ce qu'ils proposent, c'est uniquement la haine de ce qui est différent. Une telle haine ne pourra jamais servir à construire une société plus juste.

Mediapart ........le 28 décembre 2011

 




08/05/2012
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