La Mirabelle Rouge

Incendies en Russie: catastrophe aux causes peu naturelles

Pour l'historienne Marie-Hélène Mandrillon,  spécialiste de l'environnement russe, ingénieur au CNRS et enseignante à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, "la catastrophe n'a pas uniquement des causes naturelles".

 

La réforme du code forestier, décidée en 2007 par Vladimir Poutine, est mise en cause pour expliquer l'ampleur des incendies en Russie. Est-ce justifié ?

C'est exact, mais la modification du code forestier n'a été que la dernière étape de la disparition de la fonction de protection de la forêt en Russie. L'URSS comptait un corps de forestiers nombreux, spécialisé, compétent. Avec l'implosion du régime et la crise économique qui a suivi, le moyen trouvé pour assurer leur subsistance a été de les autoriser à vendre le bois qu'ils coupaient. Cette fonction a vite pris le pas sur les autres. Dès 1990, plus personne sur le terrain ne s'est préoccupé de protection, d'entretien. La suppression du ministère de l'environnement en 2000 et le rattachement, en 2004, de l'agence fédérale de la forêt au ministère des ressources naturelles, chargé de l'exploitation et non de la protection de l'environnement, ont entériné cette évolution.

En quoi le nouveau code forestier a-t-il aggravé les choses ?

Avec ce code, la fonction de protection de la forêt disparaît complètement. Aucun moyen humain ou technique n'y est plus rattaché. Ce n'est plus une mission fédérale, il n'y a plus de gestion centralisée : la protection revient aux régions, avec des problèmes de moyens et de coordination lorsqu'un feu passe d'une région à l'autre.

Cette décentralisation pose d'autant plus problème qu'il n'y a pas en Russie centrale de culture de la lutte anti-incendie. Contrairement aux régions d'Extrême-Orient, les forêts n'y sont pas considérées comme d'une grande valeur marchande ou stratégique.

Greenpeace Russie dénonce la mainmise de milieux d'affaires proches du pouvoir sur les forêts. Qu'en est-il ?

Des grands groupes industriels ont investi dans les terres et notamment dans les forêts. Cela a parfois été vertueux, en enrayant la désertification et l'exode rural dans certaines régions agricoles. Concernant les forêts, cela n'a pas généré d'exploitation bien faite ni de gestion responsable. Pire, des groupes financiers, voire des responsables politiques, défrichent des bois et créent des lotissements sans autorisation. Cela entraîne un mitage de régions autrefois couvertes par la forêt, multipliant les risques de départs de feu.

De nombreuses tourbières créées par l'assèchement de marais alimentent les incendies. Comment en est-on arrivé là ?

Cela remonte à la période soviétique. Le ministère de l'eau voyait son budget indexé sur la quantité de marécages asséchés, en vertu d'une conception de l'assainissement remontant au XIXe siècle. Mais la tourbe n'a pas toujours été exploitée, et comme les plantations, elles, dépendaient d'un autre ministère, elles n'ont souvent jamais été effectuées...

Cela dit, du temps de l'URSS, il y avait une surveillance aérienne de ces tourbières hautement inflammables et des moyens rudimentaires pour arrêter les incendies. Ce n'est plus du tout le cas.

 

Propos recueillis par Grégoire Allix ( Le Monde 07.08.2010)

 



11/08/2010
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