La Mirabelle Rouge

Pendant les élections, la privatisation des TER se prépare

Transports régionaux: sur la voie de la déréglementation

TER

Les transports collectifs régionaux, qui absorbent près de 20% des budgets des régions, sont aspirés dans le mouvement de déréglementation du secteur ferroviaire.

 

Les transports collectifs régionaux font tellement partie de la vie quotidienne qu'on ne les perçoit même plus comme un enjeu politique: ils existent… comme une évidence. Pourtant, ils font partie des enjeux électoraux. Ils sont, depuis 2001, sous la tutelle des régions. Et des quatre compétences majeures qui incombent aux autorités régionales (formation permanente, transports, lycées et apprentissage qui mobilisent 75% du budget de fonctionnement et 60% du budget de l'investissement des régions), ils arrivent dans les budgets en seconde position derrière les lycées. Les élus ont appris à leur porter une grande attention: lorsque des services sont réduits ou qu'ils fonctionnent mal, les conséquences se paient cash dans les urnes.

Auparavant, l'Etat avait la haute main sur les dessertes ferroviaires régionales. Cette centralisation était un frein à leur développement. Aussi, à partir de 1997, des expériences pilotes de transfert aux régions furent menées. Elles aboutirent à la généralisation de la régionalisation des transports en 2001… sauf en Ile-de-France où le Syndicat des transports en Ile-de-France (Stif) ne fut véritablement cédé aux collectivités territoriales (avec une majorité des voix à la région) qu'en mars 2006. Compte tenu de l'enjeu et du pouvoir qu'il confère, l'Etat rechignait à s'en dessaisir.

17% du budget régional en moyenne

Ce passage de relai pour que l'organisation des transports de la vie quotidienne soit organisée et gérée au plus près des utilisateurs a sonné le renouvellement des trains express régionaux (TER). Sauf en Ile-de-France où, à ce jour, le changement de tutelle encore récent n'a rien modifié de façon perceptible pour les passagers. Au plan financier, l'Etat transfère maintenant aux régions la contribution dont bénéficiait la SNCF pour assurer ces transports.

Pas question de parler encore de déréglementation: la SNCF est le partenaire obligé des autorités régionales, qui sont ses clients. Et c'est avec elles que se déroulent les négociations sur la nature des services à rendre et leur coût. En moyenne, selon la densité du réseau et les besoins de déplacements, les régions consacrent en moyenne 17% de leur budget aux transports. Mais c'est parfois plus, comme dans le Nord Pas de Calais où l'enveloppe réservée aux transports collectifs et ferroviaires absorbe 21% d'un budget global de 2,2 milliards d'euros en 2010 –pour faire circuler 820 trains sur les 23 lignes du réseau et moderniser les matériels au rythme de 60 millions d'euros d'investissement par an. Ce n'est qu'un exemple: en Pays de Loire, le budget des transports régionaux (279 millions d'euros) représente aussi 20% du budget global. En Ile-de-France, changement d'échelle: les dépenses de fonctionnement des transports publics, sous contrôle du Stif, dépassent les 7 milliards d'euros.

La déréglementation du ferroviaire est engagée

Le Grenelle de l'Environnement en a fait une priorité. Mais les transports régionaux tombent aussi sous le coup de la libéralisation des transports ferroviaires. En 2009, un règlement européen (OSP) a appliqué aux marchés de transports urbains et régionaux un modèle de concurrence régulée, qui doit permettre à une autorité organisatrice de transports de retenir –après mise en concurrence– un opérateur de service public autre que la SNCF. Certes, la période transitoire pour l'application règlement est de dix ans (ce qui peut reporter sa mise en œuvre à 2019) et des dérogations sont prévues. Et au Sénat, Hubert Haenel a déjà conclu que «la loi française pourrait donc demeurer en l'état, assurant le monopole de la SNCF pour le transport ferroviaire dans toutes les régions». Le gouvernement a confirmé cette ligne l'an dernier, prenant position officiellement contre une remise en cause du monopole légal de la SNCF pour les services de TER. Il convient, pour le gouvernement, de ne pas agiter le chiffon rouge alors que la déréglementation intervenue dans le transport de marchandises en 2006 a déjà été élargie aux transports internationaux de voyageurs en décembre 2009.

Mais il semble d'ores et déjà entendu que la libéralisation sera étendue à l'ensemble des grandes lignes de l'Hexagone en 2012. Quant au transport régional, il ne fait guère de doute que 2019 constitue bel et bien une échéance importante. Certaines régions seraient d'ailleurs disposées à engager une expérience de mise en concurrence de la SNCF. Face à ce qu'ils considèrent comme une menace, certains syndicats tirent le signal d'alarme. D'autant que l'installation l'an dernier par Dominique Bussereau d'un groupe de travail présidé par le sénateur UMP Francis Grignon pour plancher sur l'ouverture de la concurrence dans les TER, semble aller dans cette direction. «C'est une révolution culturelle qui va s'étaler dans le temps», commentait sobrement Francis Grignon au moment de sa nomination à cette commission. Quant à Guillaume Pépy, président de la SNCF, il ne cache pas que, selon lui à terme, la SNCF est vouée à être mise en concurrence sur l'ensemble de ses activités.

Veolia Transport avec Transdev se prépare à la concurrence

Des groupes privés affûtent déjà leurs armes. Veolia Transport (premier opérateur privé européen de transport, 6 milliards d'euros de chiffre d'affaires dont 40% en France, présent dans 28 pays) a scellé un projet de fusion avec Transdev (4e européen, 2,3 milliards d'euros dans 9 pays), filiale de la Caisse des dépôts et consignations. Cette opération, aujourd'hui engagée et qui devrait aboutir au deuxième semestre 2010, intrigue les observateurs. Il était bien question d'un rapprochement pour Transdev. Mais initialement, la Caisse de dépôts s'était plutôt tournée du côté de la RATP en lui permettant d'acquérir le quart du capital de sa filiale dans les transports collectifs. Exit la régie parisienne, qui sera dédommagée mais voit sa stratégie de développement remise en question. Keolis, filiale de la SNCF, également sur les rangs pour se rapprocher de Transdev, a aussi été écartée malgré la proximité des deux entreprises dans la sphère publique.

Ensemble, Veolia Transport et Transdev exploitent déjà une douzaine de grands réseaux de transports collectifs urbains (autobus et tramways) dans l'Hexagone (dont Nantes, Montpellier, Strasbourg, Nice, Grenoble…) et deux à trois fois plus dans des villes moyennes. Et Veolia prend déjà en charge des services ferroviaires en Allemagne et aux Etats-Unis… et même en France (ligne Nice-Digne des Chemins de fer de Provence). Le futur ensemble voulu par Henri Proglio, président du conseil d'administration de la maison-mère Veolia Environnement et patron d'EDF, se positionne.  Sans aucun doute possible, il sera le premier à répondre à des appels d'offres de régions pour faire naître une concurrence à la SNCF.

Pour les élus, en fonction des nouvelles règles du jeu que le gouvernement devra préciser, la maîtrise des coûts pour contenir la hausse de la fiscalité locale, sera déterminante. Comme quoi, si la concurrence est ouverte, l'organisation des transports collectifs régionaux s'imposera comme un des paramètres importants des scrutins régionaux.

Gilles Bridier

site internet Slate



20/03/2010
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