La Mirabelle Rouge

Féminisme et religions; le débat au NPA (contribution)

Féminisme et religions par Josette Trat (Paris 18, Commission Nationale d'Intervention Féministe), Hélène Adam (KB-Gentilly, Val de Marne), Ingrid Hayes (Paris 20, CE), Guillaume Liégard (Paris 20, CE)

Nous sommes nombreuses et nombreux au NPA à être en désaccord avec la décision qui a été prise par les l'AG du Vaucluse de placer une militante voilée sur la liste en vue des prochaines élections régionales. Nous nous sommes abstenus jusqu'à présent de prendre position publiquement pour ne pas faire dévier la campagne électorale du NPA de son objectif affiché : la dénonciation de la politique d'agression ouverte du gouvernement Sarkozy contre le monde du travail, des chômeurs et des chômeuses. Mais cette réserve n'ayant pas été respectée par les partisan-e-s de cette candidature, nous nous voyons contraint-e-s d'expliciter publiquement nos divergences. Elles sont au nombre de quatre principalement.

1. La première est qu'elle n'a donné lieu à aucune discussion collective nationale. Or, il était hautement prévisible que ce choix local aurait une portée nationale.

2. Lors de son congrès de fondation, le NPA s'est déclaré laïque. Cela signifie que croyant-e-s, agnostiques ou athées doivent pouvoir cohabiter dans la mesure où il y a accord entre tous et toutes sur son programme anticapitaliste, antiraciste, écologiste, internationaliste et … féministe. C'est en principe faire le choix d'unifier l'ensemble des exploités et des opprimés des deux sexes, sur ce programme, en refusant les divisions en termes de communautés religieuses. Or choisir une militante avec un foulard musulman, comme porte-parole, c'est envoyer le message qu'on soutient une religion, et c'est potentiellement s'interdire toute parole critique à l'égard des pouvoirs religieux pour éviter de « choquer » tel ou telle croyant-e. Une indication inquiétante de cette incitation à l'autocensure est le « scandale » qu'a représenté pour certain-e-s militant-e-s une formule utilisée par l'éditorialiste du n° 39 de l'hebdomadaire TEAN du 12 janvier. Dans cet édito signé individuellement , centré sur la dénonciation de la diversion raciste constituée par le projet de loi contre la burqa, l'auteure avait utilisé l'expression « oiseaux de morts » pour exprimer son émotion quand elle croisait des femmes voilées intégralement. L'expression pouvait être jugée plus ou moins opportune par les militant-e-s mais l'ampleur prise par la campagne de dénigrement qui a suivi (avant même que ne soit connue la candidature d'Ilham dans le Vaucluse) laisse penser que c'est bien une forme d'auto censure que certain-e-s militant-e-s prétendent instaurer.

3. Notre désaccord avec cette candidature est lié également à notre volonté de donner toute sa place à la dimension féministe de notre programme. Quelles que soient les déclarations d'Ilham concernant le droit des femmes à l'avortement et à la contraception, le voile qu'elle porte obscurcit le message que nous souhaitons diffuser en tant que féministes. Nous savons que les raisons qui poussent les femmes, en particulier les jeunes, à porter un foulard peuvent être très diverses : obligation familiales pour certaines ; solidarité avec le combat des palestiniens pour d'autres; volonté de défendre sa « pudeur » etc. Dans une société comme la nôtre, dans laquelle la marchandisation des corps s'est substituée à l'objectif d'une libération sexuelle , où les violences contre les femmes sont toujours présentes, où le racisme d'Etat ou ordinaire s'exerce ouvertement, il n'y a pas lieu de faire une fixation sur la question du foulard. Il n'en reste pas moins que le foulard est une discrimination à l'égard des femmes. Officiellement hommes et femmes sont soumis au devoir de préserver leur « pudeur » dans la religion musulmane. Mais de fait, c'est aux femmes que l'on recommande de cacher leurs cheveux, pour éviter à leurs « frères » de céder à leurs pulsions. C'est brimer par principe la liberté des femmes, qui ne peuvent pas se vêtir ou circuler comme elles le veulent. A celles et ceux qui nous déclarent que c'est un « choix purement personnel », nous répondons qu'une militante voilée qui se présente sur une liste électorale et devient ainsi une porte-paroles de son parti, devient un symbole politique indéniable. En outre c'est valider une conception de la sexualité que nous ne partageons pas. Le monde n'est pas composé d'hommes incapables de contrôler leurs pulsions et de femmes qui en seraient dépourvues. Ces désirs ne constituent pas un problème, dès lors que l'expression de ces désirs se fait dans le respect de l'autre et non sous la contrainte, la menace ou les violences. Pour lutter contre les abus éventuels, nous ne préconisons pas une société fondée sur l'apartheid sexuel mais sur une éducation sexuelle non sexiste, notamment à l'école, la prévention et la répression des délits ou crimes liés à des violences sexuelles. Or cette compréhension de notre lutte féministe est contradictoire avec les dogmes religieux monothéistes qui défendent un modèle « complémentaire » des sexes, au point de rejeter l'homosexualité comme « contre –nature » et de considérer comme seule « licite » la sexualité dans le cadre du mariage ; Ces normes religieuses et ces interdits sexuels, particulièrement pesants pour les filles au point de faire ou défaire leur réputation, sont voués à être transgressés dans la honte et la culpabilité par de nombreux jeunes à l'âge des émois sexuels les plus forts. Il ne s'agit pas ici de préconiser un modèle sexuel quel qu'il soit. Mais la liberté de choix pour les jeunes et le respect de la dignité des femmes, passe par le rejet des préjugés religieux, dans ce domaine. Et c'est grâce à la lutte résolue des mouvements féministe, gay et lesbien depuis plus de 40 ans, en France et sur le plan international que ces préjugés ont reculé. Ces acquis sont fragiles, à l'heure où les pouvoirs religieux se serrent les coudes sur le plan international. Nos candidat-e-s doivent pouvoir transmettre ce message sans hésitation.

4) Enfin, l'argumentation développée publiquement suivant laquelle c'est un message envoyé aux jeunes des quartiers populaires est tout aussi choquante. Cela révèle une connaissance très partielle des dits quartiers populaires. Nous ne prétendons pas avoir la solution, la clé d'entrée pour nous y implanter. Mais les raccourcis ne sont pas de bonne politique. En effet que la religion soit plus présente dans ces quartiers que cela n'était le cas, il y a 30 ou 50 ans, c'est incontestable. Mais comment comptons nous gagner les jeunes à notre programme d'urgence sociale ? En nous adressant à eux et à elles en tant que croyant-e-s ou en tant qu'habitants des quartiers populaires, en tant que précaires, victimes par ailleurs de discriminations ? Dans ce dernier cas, pas besoin d'en rajouter sur les signes extérieurs d'appartenance religieuse de nos candidat-e-s. On trouble, sinon, le sens de notre message politique. Le déroulement de la campagne électorale, ces quinze derniers jours l'a prouvé amplement. Les porte-paroles du NPA ont dû passer une grande partie de leur temps à s'expliquer sur la religion au lieu de populariser notre programme économique et social. Par ailleurs, si des jeunes femmes portent un voile, elles sont nombreuses à essayer d'y échapper. Le NPA doit leur manifester sa solidarité explicite. C'est pourquoi au lieu de citer en exemple un député en soutane dans les années 1950 pour légitimer le choix du Vaucluse, il nous semble plus d'actualité de réaffirmer ensemble avec force notre projet de société égalitaire et laïque : ce qui signifie à la fois lutter notamment pour une autre répartition des richesses, contre toutes les discriminations non seulement envers les musulmans mais envers tous les jeunes dont les parents ont immigré en France, envers les femmes et toutes les minorités sexuelles ; cela signifie , lutter plus largement contre tout racisme et sexisme et pour le respect de la séparation des Eglises et de l'Etat, particulièrement mise à mal par le gouvernement Sarkozy, par ses accords avec le Vatican, le financement des établissements d'enseignement privés ou le dénigrement des instituteurs au profit des curés.

Affirmer ensemble ce projet implique que des militant-es athées ou agnostiques n'encouragent pas délibérément les croyant-es à maintenir tous les signes de leur appartenance religieuse pour prétendument bousculer l'ordre bourgeois et raciste. Il faut au contraire affirmer que le foulard n'est pas un vêtement comme un autre et qu'il faut en faire reculer le port.

Le 23 Février 2010



27/02/2010
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