Foot, politique et pognon...suite ....article du Monde Diplo
Coupe du monde de football : passion, diversion, répression
Le 11 juin s'ouvre en Afrique du Sud la dix-neuvième édition de
Les chaînes de télévision profiteront également de ce marché juteux. TF1, qui a payé 120 millions d'euros pour retransmettre les différentes rencontres (3), diffusera ainsi pour la finale un spot publicitaire de trente secondes dont le prix se monte à 300 000 euros bruts, lequel sera néanmoins divisé de moitié si l'équipe de France n'atteint pas le stade ultime de la compétition. Avec la libéralisation récente des paris sportifs en ligne, les annonceurs et les sponsors seront bien plus nombreux qu'en 2006, ce qui devrait permettre aux chaînes françaises de largement rentabiliser leurs investissements.
Pour la première fois de son histoire, la compétition se situe sur le continent africain, conformément au vœu du prédécesseur de M. Blatter, Joao Havelange. Dans son testament, rendu public en 1998, celui-ci portait son choix sur l'Afrique du Sud, dont il louait les « atouts » : « L'Apartheid ayant disparu, l'Afrique du Sud peut organiser une Coupe du monde. Grâce à l'or et au diamant, ce pays possède l'une des places boursières les plus importantes au monde, un système de communications parfait, de belles et grandes villes, des aéroports, des routes et des stades. (4) ».
M. Blatter, qui aime à rappeler ses liens privilégiés avec l'Afrique, « [s]on continent », avait milité pour que Pretoria accueille l'édition 2006, mais l'Allemagne avait été désignée en juillet 2000 à l'issue de sombres arrangements dénoncés à l'époque par les Sud-Africains. Cette fois-ci c'est chose faite, à la grande satisfaction du président sud-africain Jacob Zuma, lequel voit là le plus grand événement pour le pays depuis la fin de l'apartheid et entend l'utiliser comme un vecteur de cohésion nationale, comme l'avait fait Nelson Mandela pour
Pretoria avait misé sur le Mondial pour relancer l'économie du pays, durement touchée par la crise financière. Mais la facture risque d'être lourde et le réveil difficile pour le contribuable sud-africain. Le gouvernement a entrepris de vastes efforts pour l'occasion. Des stades surdimensionnés ont été construits ou réhabilités, des autoroutes ont été élargies ou prolongées, le pays s'est doté d'un nouvel aéroport à Durban, un train luxueux et rapide desservant les quartiers chics de Johannesbourg, le Gautrain, a vu le jour, les télécommunications ont été améliorées… Au total, les pouvoirs publics ont déboursé 3,5 milliards d'euros, bien plus que les 230 millions d'euros sur lesquels le gouvernement tablait au départ. Le ministère des finances a révisé à la baisse les retombées de la compétition sur la croissance. Ces dernières étaient évaluées à 1 % ; le chiffre a été divisé par deux et pourrait bien être encore plus bas.
Le coût total des neuf stades, par exemple, était estimé à 120 millions d'euros ; la facture définitive se monte à un milliard d'euros, soit dix fois plus que celle envisagée initialement (6). Certes, le pays devrait empocher une fraction des recettes générées par le Mondial, mais certains experts prévoient que le gouvernement fera des coupes drastiques dans les comptes publics pour amortir les dépenses, dont la rentabilité à court terme sera dérisoire. L'argent économisé, qui correspond au budget affecté à la construction de logements pendant dix ans, aurait notamment permis de loger 250 000 personnes à Johannesbourg, une ville frappée par la pauvreté et où les bidonvilles et les sans-abris sont légion. Pretoria a préféré procéder à des expulsions massives à travers le pays, comme au Cap, où vingt mille personnes ont été déplacées de force pour « embellir » la ville, ainsi que le souligne un rapport de l'ONU présenté en mars dernier à l'Assemblée générale des Nations unies (7).
Pour répondre aux conditions draconiennes imposées par
Loin de favoriser l'union du pays, comme le voudraient les dignitaires de l'ANC (Congrès national africain), le parti au pouvoir,
Olivier Pironet
(1) L'édition précédente, en 2006, avait rassemblé vingt-six milliards de téléspectateurs. Un milliard d'individus, soit un habitant de la planète sur six, avaient suivi la finale. Le record d'audience sera très probablement battu.
(2) Lire « Intouchables parrains du football mondial » (aperçu), par David Garcia, juin 2010 (en kiosques).
(3) La chaîne de Martin Bouygues a partagé ses droits de diffusion avec France Télévisions et Canal +, lesquelles ont versé respectivement 25 millions et 8 millions d'euros.
(4) France Football, 1er juin 2010.
(5) Lire « Les dérobades d'"Invictus" », par Mona Chollet, Le lac des cygnes, 12 janvier 2010.
(6) A titre de comparaison,
(7) Report of the Special Rapporteur on adequate housing as a component of the right to an adequate standard of living, and on the right to non-discrimination in this context, Raquel Rolnik (document PDF), Assemblée générale des Nations unies,
(8) Lire Footafric. Coupe du monde, capitalisme et néocolonialisme, de Ronan David, Fabien Lebrun et Patrick Vassort, L'Echappée, Montreuil, 2010.
(9) L'Afrique du Sud a perdu près de 900 000 emplois en 2009, première année de récession depuis quinze ans, et la courbe continue inéxorablement de descendre. Elle compte officiellement 25 % de chômeurs, mais les syndicats avancent le chiffre de 40 %.
(10) OSEO, « Hor$jeu – Un carton jaune pour Sepp Blatter ! » (PDF), Lausanne, avril 2010.
(11) En 1971, l'ancien défenseur français Marius Trésor gagnait, en euros constants 2009, 2 500 euros par mois ; l'attaquant Thierry Henry perçoit aujourd'hui près de 1,5 millions d'euros mensuels. Lire « Pourquoi le foot business va dans le mur », Alternatives économiques, juin 2010.
(12) Jean-Claude Michéa, Les Intellectuels, le peuple et le ballon rond, Flammarion, Paris, 2010 (nouvelle édition). Paru pour la première fois en 1998, ce texte rend hommage à l'ouvrage d'Eduardo Galeano, Football, ombre et lumière (Climats, Montpellier, 1997), devenu une référence sur le sujet.