La Mirabelle Rouge

L'ombre de Sarkozy dans le salon des Bettencourt.....

 

Financement de la campagne de 2007

 Bettencourt: un nouveau témoignage désigne Sarkozy

 

par Fabrice Arfi et Fabrice Lhomme de Mediapart le 8.11.2010

Photo Reuters

 

 

Tabou absolu de l'affaire Bettencourt, le financement des activités de Nicolas Sarkozy, notamment sa campagne présidentielle victorieuse de 2007, refait surface. Mediapart publie un témoignage inédit, celui de Dominique Gautier, chauffeur du couple Bettencourt entre 1994 et 2004. Cet homme affirme avoir recueilli, au début de l'année 2007, les confidences de l'ancienne gouvernante du couple de milliardaires. Selon cette femme, décédée depuis, Nicolas Sarkozy serait à cette époque venu «demander de l'argent» aux Bettencourt, dans la perspective de la campagne électorale à venir. 

Ce témoignage est particulièrement intéressant quand on le rapproche de celui de l'ancienne comptable Claire Thibout, des notes découvertes dans les carnets secrets du dandy François-Marie Banier ou d'autres éléments matériels entre les mains des policiers.

Le fait que M. Gautier consente à dire aujourd'hui seulement sa vérité en dit également long sur la peur qui s'est emparée des témoins de cette histoire. En fait, cette “vérité”, M. Gautier l'avait déjà pour partie livrée en juin à des journalistes, mais ses propos n'avaient pas été rendus publics.

Pour bien comprendre la genèse de ce témoignage, un petit retour en arrière s'impose.

Le 6 juillet, Mediapart met en ligne les déclarations explosives de Claire Thibout, la comptable au service des Bettencourt entre 1995 et 2008, qui affirme notamment que le gestionnaire de fortune de la milliardaire, Patrice de Maistre, l'avait chargé de trouver 150.000 euros pour financer illicitement, via son trésorier Eric Woerth, la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy.

La comptable ajoutait que M. Sarkozy faisait partie des visiteurs politiques du couple Bettencourt. Selon elle – mais aussi d'autres témoins –, ces visiteurs repartaient parfois avec des enveloppes d'argent liquide.

A la suite de ces déclarations, Mme Thibout a été, à la demande du parquet de Nanterre – donc sous l'autorité de l'exécutif –, soumise à un véritable harcèlement policier et judiciaire, ce dont elle se plaindra ensuite devant la juge indépendante Isabelle Prévost-Desprez, comme s'il avait fallu absolument la faire revenir sur ses propos.

Mediapart, comme plusieurs médias, a ensuite donné la parole à d'autres familiers de l'hôtel particulier de Neuilly-sur-Seine, où demeure toujours Liliane Bettencourt (son mari André est décédé en novembre 2007). Parmi eux, Dominique Gautier donc.

Nous avons publié son témoignage le 15 juillet, deux jours après son audition par la brigade financière. M. Gautier avait notamment rendu hommage à la droiture de Claire Thibout, «quelqu'un qui dit la vérité», pour reprendre ses termes.

 

«Elle m'a dit que M. Sarkozy était venu chercher de l'argent»

Concernant le point le plus sensible, à savoir les remises d'espèces aux politiques, l'ancien chauffeur s'était montré en revanche d'une extrême prudence. Voici d'ailleurs ce que nous écrivions dans notre article: «Sur le sujet des remises d'argent liquide, on sent l'ancien chauffeur, échaudé par le traitement réservé à Claire Thibout, sur la réserve, pour ne pas dire plus

De fait, interrogé sur ces fameuses espèces, M. Gautier nous avait dit: «Pour vous répondre, donner une réponse claire, il aurait fallu que je voie. Mais si je n'ai pas vu, je ne peux rien dire (...) Si je n'ai pas été témoin, je ne dis pas. Je peux supposer, mais je ne dis pas.»

L'ancien chauffeur était apparu encore plus embarrassé à l'évocation du nom de Nicolas Sarkozy. Il nous avait déclaré l'avoir vu personnellement chez les Bettencourt «une seule fois», avec son épouse Cécilia, «à l'époque où il était maire de Neuilly», à l'occasion d'un déjeuner où «il y avait plus de dix personnes». Interrogé le 7 juillet par Le Parisien, l'ex-chauffeur avait pourtant assuré au sujet de M. Sarkozy: «J'ai bien vu des hommes politiques, dont Nicolas Sarkozy, venir manger régulièrement à Neuilly.»

Persuadés que cet homme n'avait peut-être pas tout dit, nous avons eu l'idée de visionner les rushes (tous les plans tournés lors d'un reportage) d'un très long entretien qu'il avait accordé quelques semaines plus tôt, le 19 juin précisément, au magazine “7 à 8”, dans le cadre d'une enquête diffusée le 27 juin sur TF1 et portant sur le volet Banier de l'affaire Bettencourt.

Nous avons alors découvert cette petite phrase, lâchée par M. Gautier au cours de l'interview accordée à nos confrères: «J'ai appris que Nicolas Sarkozy était venu demander un peu d'argent à Monsieur-Madame, mais bon... Là, je ne sais pas du tout combien. On me l'a dit. Elle est décédée maintenant, c'est Nicole Berger, qui était très, très proche de Monsieur et Madame, qui a été la gouvernante pendant trente ans

Assez logiquement, ce passage n'avait pas été intégré dans le reportage diffusé le 27 juin et consacré essentiellement à l'affaire d'abus de faiblesse. Cette phrase, lâchée quelques jours après la révélation par Mediapart des enregistrements clandestins, mais bien avant les déclarations spectaculaires de Claire Thibout, était à cette date difficilement exploitable.

Mais elle nous a en revanche conduits à réinterroger, la semaine dernière, Dominique Gautier, afin qu'il nous en dise plus sur cette anecdote qui, au vu des proportions désormais prises par l'affaire, n'en est plus tout à fait une.

Le chauffeur a accepté, et a donc relaté la teneur d'une discussion qu'il aurait eue, au début de l'année 2007, avec l'ancienne gouvernante des Bettencourt, une certaine Nicole Berger, décédée au mois de septembre 2008.

«Lors d'une conversation téléphonique, (...) elle m'a dit que M. Sarkozy était venu chercher de l'argent chez M. et Mme Bettencourt (...) C'était juste en pleine campagne électorale», déclare Dominique Gautier, qui ajoute qu'elle tenait probablement ses informations de Liliane ou André Bettencourt: «Pour qu'elle me dise que M. Sarkozy était venu certainement pour demander une aide, c'est que quelqu'un lui a dit, mais pas dans le personnel, plutôt Monsieur ou Madame.»

 

«Ça se situe pendant la campagne électorale»

L'ancien chauffeur précise que, d'après ce que lui avait dit Nicole Berger, Nicolas Sarkozy était bien en demande: «Il était venu demander de l'argent», maintient-il.

Invité à situer précisément cette conversation dans le temps, M. Gautier répond: «C'était fin 2006 ou début 2007, je ne sais pas (...) Vous savez, c'est difficile de se rappeler car on se téléphonait tous les dimanches, elle m'a dit ça un dimanche après-midi quand je l'ai appelée, mais je situerais plutôt ça plus début 2007.»

Une chose est certaine, il se souvient avoir à l'époque fait immédiatement le rapprochement avec la campagne présidentielle: «Oui, tout à fait, je l'avais percuté (...) Ça se situe pendant la campagne électorale.»

L'interlocutrice de l'ancien chauffeur, Nicole Berger, a occupé la fonction de gouvernante chez les Bettencourt du début des années 1960 à son départ en retraite trente ans plus tard, au début des années 1990. «Elle s'occupait surtout de la partie vestimentaire de Madame, l'achat de vaisselle, tout ce qu'il fallait pour la maison... Nicole Berger, c'était quelqu'un de très fiable, très dévouée à Madame, très dévouée à Monsieur», résume Dominique Gautier, qui a entretenu avec elle «des relations d'amitié», même s'ils n'ont pas travaillé au service des Bettencourt à la même période.

«Moi je suis arrivé en 1994, elle était déjà partie, mais elle revenait régulièrement (dans l'hôtel particulier de Neuilly, NDLR), c'est là qu'on a sympathisé. On allait faire les courses ensemble. Elle continuait à venir par sympathie une fois tous les deux mois. Elle s'occupait des petits achats de Monsieur, des petits travaux de couture qui n'intéressaient personne, par exemple les bonnets de bains de Mme Bettencourt, prenait les repas avec l'équipe du secrétariat... Elle n'a jamais cessé d'y aller, elle était devenue amie de Mme Bettencourt. Nicole avait passé quand même plus de trente ans à ses côtés, il y avait une complicité qui faisait que Mme Bettencourt devait lui confier certaines choses...»

Nicole Berger et Dominique Gautier sont, après le départ de ce dernier, en 2004, restés très proches, se téléphonant rituellement chaque dimanche après-midi.

Restait à élucider un point important: pourquoi Dominique Gautier n'avait-il pas rapporté cet épisode aux policiers ou à Mediapart, au mois de juillet: «Ah non, je n'en ai pas parlé aux policiers !», s'exclame d'abord l'ancien chauffeur. Puis il précise: «Quand on voit à quelle sauce est mangée Mme Thibout maintenant, j'ai pas envie de passer par là.» Et M. Gautier de conclure: «J'ai pas envie d'être reconvoqué à la brigade financière pour dire des choses qu'on m'a dites mais que je n'ai pas pu vérifier. J'avais confiance et beaucoup d'affection pour Nicole... Je suis sûr qu'elle m'a dit la vérité, ça peut pas être autrement, mais quand on voit le trajet de Mme Thibout maintenant...»

Les déclarations de l'ex-chauffeur doivent être bien entendu accueillies avec prudence. Comme il le reconnaît lui-même, M. Gautier n'a pas été le témoin direct des faits qu'il rapporte. Sans compter que la personne qui lui a fait cette confidence explosive ne pourra la confirmer, puisqu'elle est morte voilà deux ans.

Il n'empêche. On voit mal quel(s) intérêt(s) Mme Berger puis M. Gautier auraient eu à inventer une histoire pareille. Surtout, ces propos viennent corroborer d'autres éléments apparus dans le volet “politique” de l'affaire Bettencourt, de loin le plus compromettant pour la présidence de la République. Plusieurs témoins ont en effet évoqué l'existence de versements, par les Bettencourt, d'argent liquide à des hommes politiques en période électorale, notamment Nicolas Sarkozy.

 

« Rendez vous madame Bettencourt pour donner enveloppe»

Il y a d'abord eu, on l'a vu, les déclarations de l'ancienne comptable du couple milliardaire, Claire Thibout, à propos d'un versement illicite de 150.000 euros au profit de la campagne électorale de M. Sarkozy en 2007. A défaut d'être formellement établies – les versements d'espèces sont généralement improuvables et c'est même leur intérêt premier –, les affirmations de l'ex-comptable ont toutefois été confortées par plusieurs éléments matériels.

Dans ses déclarations du 16 juillet à la juge Prévost-Desprez, Claire Thibout a ainsi indiqué que c'est le 18 janvier 2007, une date qui correspond à la période évoquée par Dominique Gautier, qu'elle avait remis une partie de l'argent (50.000 euros en espèces) destiné à financer les ambitions présidentielles de Nicolas Sarkozy au gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt, Patrice de Maistre.

Or, dans l'agenda de l'ex-comptable, figure à la date indiquée la mention suivante: «Rendez vous madame Bettencourt pour donner enveloppe qui donnera à Patrice». Et à la date du lendemain, le 19 janvier, on peut lire ceci: «Patrice et trésorier». A savoir, un rendez-vous entre Patrice de Maistre, l'homme de confiance de la milliardaire, et Eric Woerth, trésorier de la campagne de M. Sarkozy.

Cinq jours avant, les militants de l'UMP, réunis en congrès, avaient désigné officiellement Nicolas Sarkozy comme leur candidat pour l'élection présidentielle, qu'il remportera cinq mois plus tard.

Les agendas de Patrice de Maistre saisis par la police confirment l'existence d'une rencontre dans la matinée du 19 janvier avec Eric Woerth, pour un «café». Une enveloppe a-t-elle bien été remise ce jour-là ? MM. Woerth et de Maistre s'en défendent l'un et l'autre.

Ce n'est pas tout. Les livrets de comptabilité de la maison Bettencourt, renseignés par Claire Thibout pendant ses treize années d'activité au service de la propriétaire de L'Oréal, attestent qu'entre la fin 2006 et le début de l'année 2007, de fortes sommes d'argent ont été retirées en espèces sans justification (contrairement à toutes les dépenses courantes) depuis les comptes des Bettencourt. D'après l'ex-comptable, une partie de ces sommes avait précisément vocation à financer de la main à la main des hommes politiques français.

A ces éléments, qui donnent du crédit à la parole de l'ancienne comptable, il faut ajouter la découverte par les enquêteurs de la brigade financière des journaux intimes du photographe François-Marie Banier. Le protégé de Liliane Bettencourt y notait certains événements dont il était le témoin, les confidences dont il était le destinataire, au téléphone ou dans l'hôtel particulier de la milliardaire, à Neuilly-sur-Seine.

Il s'avère, comme Mediapart et Le Monde l'ont déjà raconté, que dans l'un de ses carnets, M. Banier a notamment reporté, au printemps 2007, des «propos tenus» par la propriétaire de L'Oréal selon lesquels Nicolas Sarkozy aurait reçu, en pleine campagne présidentielle, de l'argent des époux Bettencourt. La phrase exacte, rapportée par Le Point après les révélations de Mediapart, est la suivante : «De Maistre me dit que Sarkozy demande encore de l'argent. Si je dis oui, comment être sûre qu'il lui donne bien ?» Elle est datée du 26 avril 2007.

Interrogé par les policiers sur ses écrits, dans lesquels il semble très affirmatif, François-Marie Banier a confirmé les faits, précisant à propos de ces fonds que Mme Bettencourt ne lui avait «pas dit si c'était pour Neuilly (commune des Hauts-de-Seine dont M. Sarkozy a été le maire de 1983 à 2002, NDLR), pour sa campagne ou pour autre chose». Il a aussi assuré, s'agissant de la confidence de la milliardaire, que «ce sont des propos qu'elle m'a tenus, mais je ne sais pas s'ils sont vrais».

 

Un faisceau d'indices insistants

Tout aussi catégoriques dans leurs propos mais sans désigner explicitement Nicolas Sarkozy, deux anciens employés de la maison Bettencourt, une secrétaire particulière et un majordome, ont fait des déclarations concordantes à la police, début juillet, qui ne laissent guère de place au doute sur l'existence d'enveloppes en espèces ayant profité à des personnalités politiques, principalement de droite.

La première, Chantal Trovel, a expliqué face aux enquêteurs qu'«il arrivait parfois que M. Bettencourt fasse un don à une personnalité politique. Je savais que M. et Mme Bettencourt aidaient financièrement des personnes politiques».

A la question d'un policier sur la «forme» que prenaient ces aides, l'ancienne secrétaire a assuré: «Il s'agissait d'argent liquide», destiné à «des candidats qui cherchaient à financer leur campagne ou des candidats sortants». 

Quant au second, le maître d'hôtel Pascal Bonnefoy, l'auteur des fameux enregistrements clandestins réalisés au domicile de Liliane Bettencourt à l'origine de l'affaire, il a déclaré aux policiers : «Ces enveloppes, elles existaient, j'en ai d'ailleurs vu une, une fois sur son bureau, papier kraft sans nom.»

Une telle accumulation de témoignages et d'éléments apparaît d'ores et déjà comme un faisceau d'indices lourds et insistants qui justifient l'existence d'une enquête judiciaire indépendante sur cet aspect brûlant du dossier. 

Dans sa dernière édition, l'hebdomadaire Le Point écrit, à propos du camouflet infligé au procureur de Nanterre, notoirement lié au chef de l'Etat et contraint de se dessaisir des aspects les plus sensibles de l'affaire au profit de juges d'instruction: «L'Elysée aurait, dit-on de sources policière et judiciaire, du souci à se faire, en particulier sur le financement de la campagne 2007 de Sarkozy.»

Le témoignage de Dominique Gautier ne risque pas d'atténuer cette crainte.

 



08/11/2010
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