La Mirabelle Rouge

Pénibilité et travail en Lorraine: c'est Woerh qui est pénible !

En Lorraine, la pénibilité est au cœur de la protestation contre la réforme des retraites

 

Ils défileront en tenue de fondeur, sanglés dans leur manteau aluminisé, munis de leurs guêtres et de leur protège-nuque. "Et on fera brûler des torches!", promet Edouard Martin, délégué CFDT à l'aciérie de Florange du groupe Arcelor Mitttal. Dix-huit mois après la fermeture de l'usine de Gandrange (Moselle), qui a conduit à la suppression de 600 emplois, les sidérurgistes de la vallée de la Fensch se préparaient à "monter à nouveau au feu", lundi 6 septembre, à la veille des manifestations contre le projet de réforme des retraites –pour leur part, ce sera Metz.

"Qu'ils viennent les voir, nos haut-fournistes, les Woerth et compagnie ! Après trente ans de feu continu, les types sont à bout. Huit heures par jour en service posté devant un trou de coulée où la fonte sort à 1500 degrés, je peux vous dire que ça use. Et on voudrait leur en resservir une louche? C'est scandaleux", s'emporte Xavier Phan-Dinh, 56 ans, agent de maintenance au laminoir à couronnes et barres, la dernière installation du groupe encore en activité à Gandrange.

"De toute façon, les vieux, on les met à la porte, soupire ce militant de la CGT. A Gandrange, on a commencé par virer les ouvriers de plus de 57 ans. Alors, quel est le sens de tout ça ?"

MALADIES PROFESSIONNELLES

A l'autre bout du département, à Hambach, près de la frontière allemande, Jean-Luc Bielitz, 44 ans, ouvrier à l'usine Smart du groupe Daimler, se prépare lui aussi à débrayer. "Je fais les 3/8, je suis en permanence dans les produits chimiques, je peux vous dire que j'en bave, relate-t-il. L'an dernier, j'ai accompagné une collègue de 48 ans, déclarée inapte à tous les postes à la suite d'un problème de canal carpien. Aucune solution n'ayant été trouvée pour elle, elle a été poussée vers la sortie après avoir négocié ce qu'elle a pu. Alors, qu'on ne vienne pas nous parler de justice sociale !"

Gilles travaille également dans l'industrie automobile, à l'usine PSA de Metz-Borny, où le groupe Peugeot-Citroën produit les boîtes de vitesse de ses petits modèles. Vu l'ambiance, cet agent de fabrication proche de la quarantaine préfère rester anonyme. "Le travail posté, c'est vraiment épuisant, témoigne-t-il. J'ai des collègues qui ont quarante ans de boîte, ils n'en peuvent plus. La simple idée que l'on puisse leur demander de faire deux ans de plus me rend malade."

Il s'interroge : "Pousser les gens à bout conduira à multiplier les maladies professionnelles, ce qui ne fera que creuser le trou de la Sécu. Où est la logique ?" "En plus des machines, on a des tas de papiers à remplir, ajoute cet ouvrier. On est constamment épié, contrôlé, infantilisé. Pour augmenter les rendements à la chaîne, ils nous ont soumis récemment à un test de dextérité, c'est dire ! Si j'arrive à 60 ans sans péter une pile, ça sera beau !"

Il y a quelques mois, l'usine a passé un accord sur le stress au travail. "Parlons-en !, s'emporte-t-il. J'ai fait le test, j'étais dans l'orange avec 126 points – à 130, j'étais bon pour le rouge. Le médecin du travail m'a dit : 'Vous êtes limite, faites attention !' Merci du conseil !"

Christian Mougin, 53 ans, travaille à Metz sur une plate-forme d'assistance technique de France Télécom. "On bosse sur des scripts qui déroulent sous nos yeux, on ne nous demande pas de réfléchir mais de remplir des objectifs. Parfois, je me sens un peu robot. La pénibilité, c'est pas seulement dans les usines."

"LA PÉNIBILITÉ, C'EST PAS SEULEMENT DANS LES USINES"

Même tonalité chez Sandrine Hadam, vendeuse au magasin Kiabi. "Le boulot de vendeuse, c'est aussi porter des cartons, mettre la marchandise en rayon… C'est fatigant, car il y a en plus la pression commerciale. A 60 ans, on est moulu."

Le terme "pénibilité" revient dans tous les témoignages, y compris là où on ne l'attend pas. "Dans notre métier, on ne risque pas de tomber d'un échafaudage, les maladies sont essentiellement psychiques, même si un coup de couteau se perd parfois. Et pourtant, le métier d'enseignant peut être très pénible", évoque Patrick Fusil, secrétaire académique du syndicat FO lycée et collèges. "L'histoire du maître qui part en retraite la larme à l'œil, c'est dans les films. Franchement, j'ai du mal à m'imaginer prof à 67 ans", confirme Régis Morbach, 33 ans, certifié de mathématiques et "titulaire sur zone de remplacement" dans la région messine.

Infirmière en psychiatrie au CHS de Sarreguemines, Kathia Scheuer se voit mal, elle aussi, "travailler jusqu'à 66 ans". "Les nuits, au début, on les gère, mais avec les années et la vie de famille, c'est difficile. La souffrance des patients, la violence, il faut l'encaisser. On se blinde mais jamais totalement et il y a un moment où le corps ne suit plus. Dans les hôpitaux aussi, la pénibilité, on connaît."

 

Nicolas Bastuck ( Le Monde  du 07.09.2010)



07/09/2010
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