Prélèvement ADN de syndicaliste:le fichage totalitaire
Un jugement confirme les dérives du fichage génétique ( Télérama.fr le 3 février )
Xavier Mathieu, ex-leader syndical de Continental, a été condamné vendredi pour avoir refusé un prélèvement d'ADN. La cour d'appel d'Amiens a infirmé le jugement de première instance. De nombreuses voix s'élèvent pour estimer qu'une législation rassemblant dans un même fichier violeurs et syndicalistes est indigne d'une société démocratique.
Indigne. La condamnation vendredi matin 3 février de Xavier Mathieu, syndicaliste CGT de l’ex-usine Continental, à 1 200 euros d’amende pour avoir refuser de se faire prélever son ADN par la police, ne grandit pas la justice. Ce jugement de la cour d’appel d’Amiens infirme celui rendu en juin 2011 par le tribunal de Compiègne qui avait estimé que « le recueil de l’ADN du prévenu [ndr : Xavier Mathieu] en vue de son identification et de sa recherche était inadéquat, non pertinent, inutile et excessif. » On ne pouvait être plus clair. Trop manifestement. Inquiet de cette décision qui avait ouvert une brèche dans la législation sur le fichage génétique en France, le parquet avait fait appel. Il a obtenu gain de cause et il y a de quoi s’en inquiéter.
Rappel des faits pour bien comprendre qu’au-delà du cas de Xavier Mathieu, ce jugement nous concerne tous. Le leader syndical des salariés de Continental (lafermeture de l’usine s’était soldée en 2009 par 1 120 licenciements) avait été condamné à 4 000 euros d’amende pour avoir participé comme beaucoup d’autres, au « saccage » de la sous-préfecture de Compiègne. Cette condamnation lui valait obligation de se soumettre à un prélèvement ADN destiné à alimenter le Fnaeg (Fichier national automatisé des empreintes génétiques). Il a refusé. Par conviction et éthique personnelles. « Je suis père de trois enfants. Je suis délégué syndical. Je ne suis pas délinquant. Monsieur le Président, je vous regarde et je vous le dis : je ne mérite pas ça. Un syndicaliste n'a rien à foutre dans ce fichier entre Emile Louis et Marc Dutroux », avait-il déclaré à ces juges le 3 mai 2011.
La référence à des hommes condamnés pour meurtres et viols en série n’était évidemment pas neutre. A l’origine, le Fnaeg, créé en 1998 par Elisabeth Guigou, ne devait contenir que les empreintes des violeurs et délinquants sexuels. Par glissements successifs, il a d'abord été étendu aux personnes reconnues coupables de dégradations dangereuses et d'extorsions avant qu'en 2003, la loi sur la sécurité intérieure de Nicolas Sarkozy n'élargisse son périmètre a quasiment tous les délits d'atteinte aux personnes et aux biens.
2,5% de la population fichée ?
Ces extensions vont provoquer une inflation considérable du nombre de personnes fichées. Les chiffres sont peu connus et pourtant, ils parlent d'eux-mêmes : en 2002, le Fnaeg comptait à peine plus de 2 000 empreintes ; au 31 janvier 2010, il dépassait les 1,2 million (source CNIL) et croissait au rythme de 1 000 par jour. Aujourd'hui, il atteindrait le chiffre de 1,7 million d’empreintes. Plus de 2,5% de la population française s’y retrouve désormais fichée.
« Personne ne prône le fichage généralisée, mais, de fait, on est en train de l'effectuer », notait, en septembre 2009, le secrétaire général du Syndicat de la magistrature, Matthieu Bonduelle. « Le fichage génétique pour un militant syndical questionne la société mais singulièrement les magistrats que nous sommes »,expliquait-il, il y a un mois, à la barre du tribunal où il était cité comme témoin par la défense. Le problème est bien là : une législation qui ne fait pas de différence entre un violeur et un syndicaliste est tout simplement indigne d’une société démocratique.
Bientôt un fichage ethnique ?
Dans cette histoire, le pire est peut-être devant nous. Plusieurs généticiens estiment désormais que les progrès en génétique remettent en question l’idée qu’il existerait un ADN « totalement neutre ». Autrement dit, les marqueurs génétiques entrés dans le Fnaeg pourraient maintenant donner des informations assez précises sur l’origine géographique ou les prédispositions pathologiques des personnes inscrites. Comme le notaient récemment la Ligue des droits de l’homme, le Syndicat des avocats de France et le Syndicat de la magistrature, dans un communiqué commun, « il s’agirait dès lors, ni plus ni moins, que de constituer un fichier de type quasi-ethnique. Tout le contraire, en somme, des exigences minimales de la législation et des assurances données par les gouvernements successifs. »
« A l’heure d’un certain endormissement démocratique, soulignaient les trois organisations, nous ne sous-estimerons jamais l’utilisation qui pourrait être faite, dans d’autres circonstances, d’un tel fichier. » En conclusion, elles appelaient les candidats à la Présidentielle « à se positionner clairement sur des questions qui mettent aussi crucialement en jeu les libertés publiques. »
« Je ne lâcherai pas ! »
A la sortie du tribunal, Xavier Mathieu faisait remarquer que les juges qui l’avaient condamné vendredi matin étaient les mêmes que ceux qui l’avaient déjà condamné pour le « saccage » de la sous-préfecture de Compiègne. « Comment auraient-ils pu me juger autrement ? » Le leader syndical aujourd’hui au chômage n’est pas pour autant prêt à renoncer. « Dans cette condamnation, le pire, ce n’est pas l’amende, c’est d’être traité comme un délinquant. Ils peuvent désormais venir me redemander mon ADN et je refuserai une deuxième fois de le donner. Je ne lâcherai pas. » Xavier Mathieu étudie désormais avec son avocate un possible recours devant la Cour de Cassation ou la Cour européenne des droits de l’homme.