La Mirabelle Rouge

Woerhgate: les financements restent occultes

 

 

L'ex-comptable des Bettencourt confirme des financements illégaux de la droite 

 par Fabrice Arfi e Fabrice Lhomme (Mediapart 08.07.2010)

  • Les rebondissements se succèdent dans l'affaire Bettencourt. Ils se concentrent autour de l'ex-comptable de la milliardaire, Claire Thibout. Après ses déclarations spectaculaires évoquant notamment des versements d'espèces à des personnalités de droite, recueillies lundi 5 juillet par les policiers puis par Mediapart (et publiées le 6 juillet au matin), Claire Thibout serait revenue sur ses déclarations, dans la soirée du mercredi 7 juillet, comme l'ont martelé avec jubilation les proches de Nicolas Sarkozy – et la présidence de la République elle-même via un communiqué inédit.

Ce constat a été appuyé par la diffusion (par exemple par Le Figaro) dans la journée de quelques extraits soigneusement sélectionnés de l'interrogatoire de Mme Thibout.

En fait, la lecture de son audition, dont lemonde.fr a en revanche publié jeudi après-midi des extraits plus complets, et dont Mediapart reproduit en exclusivité le contenu intégral , suggère tout autre chose. La comptable a par exemple mis en cause nommément davantage de personnalités politiques qu'elle ne l'avait fait jusque-là. Elle a bien décrit l'hôtel particulier des Bettencourt, à Neuilly-sur-Seine, où elle a été en fonction de mai 1996 à novembre 2008, comme ayant été le théâtre de remises régulières d'enveloppes en espèces à des hommes politiques de premier plan.

Elle a réitéré ses accusations concernant l'épisode Patrice de Maistre/Eric Woerth, à savoir la remise par le premier au second d'une somme de 150.000 euros destinée au financement de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, en 2007. En revanche, elle a à plusieurs reprises minoré ou nuancé certaines déclarations qu'elle avait faites à Mediapart, notamment s'agissant de la remise d'argent liquide à M. Sarkozy. 

Mme Thibout a surtout tenu à préciser, à plusieurs reprises, qu'elle n'avait «jamais assisté à une remise d'enveloppes» aux politiques. Une précision importante... qui figurait déjà, bien entendu, dans les propos de Mme Thibout reproduits dans notre article du 6 juillet. Sur le fond, qu'a donc déclaré l'ex-comptable, à l'issue d'une énième audition au cours de laquelle, il faut le rappeler, elle n'a pas pu bénéficier de l'assistance d'un avocat, et où la plupart des questions semblaient avoir pour seul objet ses déclarations à Mediapart?

D'abord, s'agissant des politiques, elle a confirmé qu'«il y avait souvent des hommes politiques à la maison. Je n'ai pas parlé de “défilé” ni qu'ils venaient surtout lors des élections. Je lui (le journaliste de Mediapart, NDLR) ai seulement dit que souvent ces messieurs venaient pour avoir de l'argent».

A la question du capitaine de la brigade financière (BF) qui a procédé à son audition: «Quels étaient les autres hommes politiques qui selon vos déclarations à Mediapart ont été concernés par des remises d'espèces?», Mme Thibout a eu une repartie traduisant son embarras, pour ne pas dire sa peur: «Vous ne pouvez pas me demander ça.» Et d'ajouter: «M. et Mme Bettencourt étaient des personnes généreuses et il y a eu beaucoup de personnes politiques qui ont reçu de l'argent. Je ne serai pas exhaustive et je ne veux pas faire de la délation. Pour ce qui est de M. Woerth s'il n'y avait pas eu les histoires de carnets je n'en aurais jamais parlé à personne.» Concernant l'identité de ces hommes politiques qui se pressaient à la table des Bettencourt, elle a assuré: «Il y en avait beaucoup.»

  • IIs venaient chercher de l'argent pour leurs campagnes»

Selon elles, «parmi les plus proches il y avait M. Pierre Messmer, Mme Pompidou, M. Léotard, M. Longuet, M. et Mme Chirac, M. Balladur, M. Kouchner, Mme Mitterrand (M. Mitterrand était un ami de longue date de M. Bettencourt), M. Donnedieu de Vabres. Il y avait comme je l'ai déjà dit M. Sarkozy et plus récemment M. Woerth».

«Comment pouvez-vous être aussi affirmative sur le fait que des hommes politiques recevaient de l'argent alors que vous indiquez que ceci repose sur des déductions?», l'a relancée le policier. «Comme je vous l'ai expliqué quand quelqu'un vient déjeuner et que l'on demande une enveloppe, enveloppe que je remets à M. de Bettencourt et que cette enveloppe est vide après le déjeuner on peut imaginer que M. Bettencourt ait donné de l'argent à cette personne.» La comptable a d'ailleurs décrit par le menu le rituel qui présidait à la remise des enveloppes, et donné, détail très important, l'identité de cinq personnes employées chez les Bettencourt susceptibles de confirmer ses dires. Parmi elles, le fameux maître d'hôtel qui a déclenché cette affaire d'Etat en enregistrant clandestinement entre 2009 et 2010 les conversations entre Liliane Bettencourt et son entourage.

En ce qui concerne Nicolas Sarkozy, Claire Thibout l'a évoqué à plusieurs reprises lors de son audition, mais a semblé paralysée à l'idée de le mettre en cause aussi catégoriquement qu'elle l'avait fait dans nos colonnes. Au risque de paraître contradictoire, comme l'atteste cette question du policier de la BF: «Vous avez précédemment déclaré au sujet du journaliste de Mediapart: “Je n'ai jamais dit que des enveloppes étaient remises régulièrement à M. Sarkozy” et “Ces messieurs venaient pour avoir de l'argent”. Pouvez-vous préciser vos propos?»

Réponse de la comptable : «Bon, il y avait des politiques qui venaient, c'était connu qu'ils venaient chercher de l'argent pour leurs campagnes électorales. Au moment de ces campagnes, il y avait plus de monde qui venait tirer la sonnette de M. et Mme Bettencourt. Peut-être que M. Sarkozy faisait partie de ces gens mais je ne pourrais l'affirmer car je n'étais pas là lors de la distribution des enveloppes.»

Réinterrogée sur l'actuel chef de l'Etat, à propos duquel elle avait assuré à Mediapart – en précisant ne pas avoir été témoin direct – qu'il percevait des espèces lorsqu'il était maire de Neuilly (1983-2002), elle a déclaré: «J'ai déjà dit précédemment que des politiques venaient, dont M. Sarkozy, et qu'il y avait des enveloppes qui circulaient dans la maison et j'ai évoqué que M. Sarkozy pouvait faire partie des personnes qui recevaient des enveloppes.» Ou encore: «Le journaliste de Mediapart m'a demandé si M. Sarkozy venait à la maison (avant qu'il soit président) et s'il avait touché des enveloppes. J'ai répondu que c'était possible.»

  • Mediapart maintient évidemment l'intégralité de ses écrits

Concernant l'aspect le plus spectaculaire de ses précédentes déclarations, relatives à Eric Woerth, l'ex-comptable de la milliardaire a réitéré ses accusations, à savoir que le gestionnaire de fortune de Mme Bettencourt, Patrice de Maistre, lui avait «demandé avant les élections présidentielles de 2007 d'aller lui chercher 150.000 euros à la banque. Je n'avais pas la possibilité de retirer une telle somme car il fallait une autorisation spéciale. Quand je lui ai demandé pour quoi c'était faire, pourquoi une telle somme, il m'a répondu qu'il devait organiser un dîner avec M. Woerth pour la lui remettre».

Mediapart maintient évidemment l'intégralité de ses écrits, les propos retranscrits dans notre article du 6 juillet constituant une reproduction fidèle de nos entretiens avec la comptable. Nous l'avons rencontrée une première fois, en tête-à-tête, dimanche 4 juillet, en présence d'un témoin. Puis nous l'avons à nouveau questionnée, au cours de deux entretiens téléphoniques (avec un téléphone mobile, en mode haut-parleur afin de pouvoir prendre des notes) dans la soirée du lundi 5 juillet, juste après son audition. Là encore, la conversation a eu lieu en présence d'une tierce personne.

Sans renier le fond de ses déclarations, Mme Thibout a tenté lors de l'audition de mercredi soir d'en modérer la portée, comme effrayée par le séisme qu'elle a provoqué. De fait, à la suite du déclenchement de la tempête médiatique, politique et judiciaire consécutif à la publication de ses propos, la comptable, une femme d'une cinquantaine d'années peu habituée à se trouver en pleine lumière, a été comme prise de panique.

Ses proches décrivent une personne dans un état de stress total, totalement dépassée par l'ampleur prise par ses déclarations à la police puis à Mediapart. Placée en garde à vue à la mi-juin (l'avocat de Liliane Bettencourt, Me Georges Kiejman, l'accusant d'avoir volé des documents à son ancienne employeuse, ce que Claire Thibout conteste avec véhémence), interrogée au siège de la BRDP (brigade de répression de la délinquance contre la personne) lundi 5 juillet au matin, puis de nouveau auditionnée le même jour en fin d'après-midi, elle a fini par craquer nerveusement le surlendemain devant la brigade financière.

Selon son avocat, Me Antoine Gillot, sa cliente «a été soumise ces derniers jours à un harcèlement du parquet, astreinte à une pression hallucinante, avec des interrogatoires permanents. C'est d'autant plus choquant que je n'ai pas accès au dossier, puisqu'il s'agit d'une enquête préliminaire, non contradictoire, placée sous le seul contrôle du procureur de Nanterre. Il est scandaleux qu'il n'y ait pas de juge d'instruction impartial nommé dans cette affaire», a conclu Me Gillot qui entend s'exprimer plus longuement lorsqu'il aura pu voir sa cliente.

  • Une pression hallucinante»

La « pression » qu'il évoque expliquerait donc que la comptable ait atténué certaines de ses accusations. Prise contre son gré dans une affaire d'Etat, traquée par les médias du monde entier, attaquée violemment et publiquement par l'entourage du chef de l'Etat, comment pouvait-il en être autrement? Il n'est pas indifférent de constater qu'elle a principalement tenté de modérer ses propos lorsqu'il s'est agi de réitérer ceux mettant en cause Nicolas Sarkozy.

Partie se mettre au vert dès mardi dans le sud de la France, à Fourques (Gard) précisément, Claire Thibout était tellement pétrifiée qu'elle ne souhaitait même plus répondre aux enquêteurs, mandatés par le procureur de Nanterre, dont la proximité avec le président de la République est notoire. Finalement, les policiers de la brigade financière ont décidé, dans l'urgence, d'aller la réinterroger, à Nîmes, dans la soirée du mercredi 7 juillet. La comptable n'en a pas fini avec son calvaire (alors qu'elle n'est que témoin) puisque les policiers l'ont ramenée à Paris jeudi matin, afin de la confrontrer, dans l'après-midi, avec le gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt, Patrice de Maistre.

Rappelons ce que Mme Thibout nous déclarait dans l'article mis en ligne mardi 6 juillet au matin, concernant les hommes politiques qui se rendaient chez Liliane et André – qu'elle surnomme «Dédé» – Bettencourt: « Les visiteurs les plus assidus étaient des responsables du Parti républicain. Il leur remettait une enveloppe tous les deux ou trois mois. Parfois 10.000, 20.000 ou 30.000, d'abord en franc, puis en euro, car là aussi, tout augmente ! Je sais que Dédé avait contribué, juste avant mon arrivée, au financement en liquide de la campagne d'Edouard Balladur. Cela dit, comme il était généreux, il ne m'étonnerait pas qu'il ait aussi financé les activités politiques de Jacques Chirac.»

Mediapart maintient donc la réalité de ses propos. Mme Thiboud avait même cité, à l'appui de ses dires, les noms de trois personnalités de l'ex-PR, que nous n'avions pas publiés.

S'agissant du point le plus sensible, à savoir M. Sarkozy, Mme Thibout nous avait déclaré ceci: «Nicolas Sarkozy recevait aussi son enveloppe, ça se passait dans l'un des petits salons situés au rez-de-chaussée, près de la salle à manger. Ça se passait généralement après le repas, tout le monde le savait dans la maison. Comme M. et Mme Bettencourt souffraient tous les deux de surdité, ils parlaient très fort et, de l'autre côté de la porte, on entendait souvent des choses que l'on n'aurait pas dû entendre. Encore une fois, tout le monde savait dans la maison que Sarkozy aussi allait voir les Bettencourt pour récupérer de l'argent. C'était un habitué. Le jour où il venait, lui comme les autres d'ailleurs, on me demandait juste avant le repas d'apporter une enveloppe kraft demi-format, avec laquelle il repartait. Je ne suis pas stupide quand même, inutile de me faire un dessin pour comprendre ce qu'il se passait...»

Là encore, Mediapart confirme que ce sont bien les propos tenus par Claire Thibout, qui avait donné beaucoup de détails sur les circonstances de ces remises d'enveloppes, dont il faut rappeler encore une fois qu'elle n'a pas été le témoin direct, comme l'article le précisait bien.

En revanche, on l'a vu, la comptable a maintenu, sans doute parce qu'elle l'avait déjà raconté à la police judiciaire le 5 juillet et qu'il lui était plus difficile cette fois de faire marche arrière, avoir été témoin de l'épisode-clef, celui qui a provoqué cet incroyable emballement médiatique, à savoir que Patrice de Maistre aurait remis à Eric Woerth une somme de 150.000 euros en espèces afin d'aider au financement de la campagne électorale de M. Sarkozy, en 2007.

Mme Thibout avait précisé aux enquêteurs, puis à Mediapart, que la remise s'était effectuée en deux temps: elle aurait retiré une somme de 50.000 euros à la banque – elle disposait d'un «accréditif» lui autorisant un retrait de ce montant par semaine –, tandis que M. de Maistre, qui nie catégoriquement les faits, aurait été chercher le complément en Suisse.

  • Ce que montrent les «carnets de caisse»

Toutes les sorties et remises d'espèces étaient consignées sur des carnets de caisse, sur lesquels ne figuraient généralement pas le nom des destinataires politiques. A la place, elle nous avait assuré qu'elle mentionnait généralement le nom de M. André Bettencourt, décédé en novembre 2007, et qui d'après elle «s'occupait» des politiques.

Lors de sa dernière audition, la comptable a indiqué que la date à laquelle elle avait initialement situé ce retrait de 50.000 euros (fin mars-début avril 2007 selon ses propos devant la PJ le lundi soir, plus précisément le 26 mars à Mediapart) n'était pas forcément la bonne. De fait, comme l'a indiqué Libération jeudi 8 juillet, l'examen du carnet de caisses de l'année 2007, dont Mediapart détient des extraits, jette le doute: si en regard de la date du 26 mars 2007 figure bien à la colonne «recettes» (c'est-à-dire les retraits en liquide à la banque) la somme de 50.000 euros, l'examen de la colonne «dépenses» atteste qu'ils ont manifestement servi à régler des frais divers (coiffeur, étrennes, médecins...), alors qu'il n'est mentionné nulle remise de ce montant à M. Bettencourt.

Tout indique en fait que la scène à laquelle l'ancien comptable fait allusion se serait déroulée à la fin du mois de janvier 2007. A la lecture du carnet, on constate en effet d'abord une accélération des retraits et des remises au cours de ce mois en faveur de «Monsieur» (il s'agit, on l'a vu, d'André Bettencourt), comme cela est mentionné dans la colonne «dépenses», qui recense la destination des fonds.

Le 4 janvier, une somme de 10.000 euros lui est remise. Puis, le 7 janvier, c'est un montant de 30.000 euros qui lui est versé par Claire Thibout.  Le 9 janvier, cette dernière effectue un retrait de 45.000 euros. Et un autre, le 14 janvier, de 50.000 euros. Le 25 janvier, une nouvelle somme de 50.000 euros apparaît dans la colonne «recettes» (celle qui recense les retraits en liquide à la banque). Et le lendemain 26 janvier, le document mentionne une remise de 100.000 euros à «Monsieur».

Le retrait puis la remise des espèces que Mme Thibout situait initialement fin mars se seraient en fait déroulé à la fin du mois de janvier plutôt qu'à la fin du mois de mars.

C'est d'autant plus logique que le premier tour de l'élection présidentielle de 2007 a eu lieu le 22 avril 2007. Si les espèces avaient été retirées le 26 mars, il aurait encore fallu, à en croire son récit, que la comptable ait le temps de les remette à Mme Bettencourt, puis que celle-ci les donne à M. de Maistre qui devait encore se rendre en Suisse récupérer le «complément» avant enfin de donner la somme totale à Eric Woerth.

Si le scénario décrit par Claire Thibout est exact, il est plus probable que cette séquence se soit déroulée plusieurs semaines auparavant. Autre indice révélé cette fois par l'examen du carnet de caisse 2006: il ne mentionne aucune remise importante à l'intention de M. Bettencourt, au contraire de ce qui ressort de l'examen des premiers mois de l'année 2007. Un indice supplémentaire susceptible de conforter la version de Claire Thibout, qui assure que les remises d'espèces aux politiques étaient beaucoup plus fréquentes les années d'élection.

 



08/07/2010
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