La Mirabelle Rouge

Woerthgate: je finance l'UMP, le bouclier fiscal rembourse !

Le financement de l’UMP au cœur de l’affaire Bettencourt

 

Le site du Nouvel Observateur a publié, mardi 13 juillet, un troublant document qui démontre une nouvelle fois combien le financement de l'UMP, et tout particulièrement celui de la campagne présidentielle de 2007 de Nicolas Sarkozy, est au cœur des nombreuses questions toujours sans réponse de l'affaire Bettencourt. Ces questions n'ont, au demeurant, pas été abordées, lundi 12 juillet, lors de l'intervention télévisée de Nicolas Sarkozy, sur France 2. Leur persistance confirme, s'il en était besoin, que l'affaire Bettencourt, loin d'être terminée comme s'en est félicité sans doute prématurément le président de la République, n'en est au contraire sans doute qu'à ses débuts.

Le document mis en ligne par le site de l'hebdomadaire, qui sera repris dans son édition papier en kiosques demain, est un mémo «strictement personnel et confidentiel» rédigé par Patrice de Maistre, le gestionnaire de la fortune de Liliane Bettencourt. Il est adressé au mari de cette dernière, André Bettencourt, décédé en novembre 2007. Daté du 29 septembre 2006, c'est-à-dire sept mois avant le premier tour de la dernière élection présidentielle, le mémo est sans équivoque sur son objet: «Financement UMP, NS.» NS pour Nicolas Sarkozy.

Alors que Patrice de Maistre, personnage central du scandale Bettencourt, a récemment expliqué aux policiers qu'il ne s'était «jamais occupé d'hommes politiques» et de financement de parti avant 2010, comme le rappelle l’Obs, le mémo exhumé par l'hebdomadaire atteste du contraire. Mais le document montre aussi – et surtout – la nature financière et politique du lien qui unit le gestionnaire de la fortune de l'héritière L'Oréal à Eric Woerth, actuel ministre du travail et trésorier de l'UMP, contrairement à ce que les deux hommes tentent de démentir depuis un mois et les premières révélations de Mediapart sur cette affaire.

Voici ce que Patrice de Maistre écrit dans ce document de deux pages:

«Suite à la réunion que j'ai eue avec Monsieur Eric Woerth, trésorier de l'UMP, celui-ci m'a confirmé que les contributions sont réservées aux seules personnes physiques, qui peuvent donner au maximum 7.500 euros aux partis et aux associations de financement des personnes. Pour la campagne présidentielle chaque personne peut donner 4.500 euros (en réalité 4.600 euros). Nicolas Sarkozy n'étant pas encore candidat déclaré, cette contribution n'est pas à l'ordre du jour.»

Patrice de Maistre poursuit sa missive en expliquant par le menu comment, à eux deux, les époux Bettencourt peuvent débourser dans un premier temps 30.000 euros en faveur de l'UMP et de Nicolas Sarkozy via deux organisations distinctes. Ce qui est assez commode pour contourner la loi sur le financement des partis... en toute légalité :

«Votre épouse et vous-même pouvez donc faire chacun un chèque de 7.500 euros, aux deux associations suivantes :

- Association nationale de financement de l'UMP (ANFUMP)

- Association de soutien à l'action de Nicolas Sarkozy

Nous avons convenu, avec Monsieur Woerth, que vous pourriez faire déposer ces quatre chèques à son intention, à l'UMP 55, rue de la Boétie Paris 8ème».

Puis Patrice de Maistre termine son courrier sur une précision cocasse: «Monsieur Woerth m'a fait savoir que vous aviez déjà envoyé un chèque de 7.500 euros à l'UMP, mais que celui-ci a été utilisé par Monsieur Renaud Donnedieu de Vabres.»

Face aux policiers chargés des investigations sur le volet politico-financier de l'affaire, plusieurs employés de maison des Bettencourt, à commencer par l'ancienne comptable Claire Thibout, ont présenté l'ancien dirigeant du Parti Républicain comme un visiteur régulier du couple milliardaire, dont il était un proche.

Plusieurs de ces témoins, parmi lesquels un ancien majordome et deux anciennes secrétaires particulières, ont aussi confirmé les déclarations de Claire Thibout à la police et à Mediapart selon lesquelles les époux Bettencourt avaient l'habitude de remettre des enveloppes en espèces à de nombreux hommes politiques, de droite essentiellement. Ces témoignages sont confortés matériellement par les livrets de comptes des Bettencourt (ci-contre) qui montrent que de fortes sommes d'argent étaient retirées en liquide de manière injustifiée en période pré-électorale (380.000 euros début 2007).  

 

Une «muraille de Chine» poreuse...

Le mémo révélé par Le Nouvel Obs apparaît aujourd'hui comme un élément de plus qui met en lumière la valse des versements d'argent à l'UMP par les Bettencourt et l'extrême proximité d'Eric Woerth, trésorier du parti majoritaire, aujourd'hui sur le départ, avec Patrice de Maistre. Celui-là même qui deviendra à partir de novembre 2007 le patron de Florence Woerth, l'épouse de l'actuel ministre du travail (ex-ministre du budget). Depuis les premières révélations de Mediapart sur l'affaire, le 16 juin, Eric Woerth n'a eu pourtant de cesse de prendre ses distances avec Patrice de Maistre, qu'il a assuré avoir vu très peu de fois ces dernières années. Or, l'agenda de M. de Maistre, qui est en possession des policiers depuis plusieurs jours, a d'ores et déjà démontré la fréquence des rendez-vous entre le gestionnaire de fortune et le grand argentier de l'UMP, comme l'a déjà rapporté Le Monde: 19 janvier 2007, 7 février 2007, 12 septembre 2007, 20 septembre 2007, 23 janvier 2008 (jour de la remise de la légion d'honneur au gestionnaire de fortune par le ministre ), 31 janvier 2008, 11 février 2009.

Sans parler des trois venues en 2007 et 2009 de Patrice de Maistre à Bercy «à la demande du ministre (Eric Woerth)», révélées par le récent rapport de l'Inspection générale des finances, qui a providentiellement «blanchi» Eric Woerth des soupçons d'interférence dans le dossier fiscal de Liliane Bettencourt quand il était ministre du budget.

Ce n'est pas tout. Les enregistrements pirates réalisés au domicile de la milliardaire entre mai 2009 et mai 2010 par son ancien majordome, Pascal Bonnefoy, évoquent eux aussi plusieurs rencontres entre MM. de Maistre et Woerth, présenté à de nombreuses reprises comme un «ami» par le premier. Le 27 juin, sur RTL, Eric Woerth avait assuré avoir dressé une «muraille de Chine» entre lui et le travail de son épouse, employée de la société gestionnaire de la fortune de Liliane Bettencourt, dont le directeur général est... Patrice de Maistre. Une défense qui a définitivement craqué.

Plus que jamais, les questions en suspens sont nombreuses sur le financement – légal ou pas – de l'UMP par les Bettencourt par l'intermédiaire notamment de Patrice de Maistre. L'une des scènes les plus marquantes des conversations captées dans l'hôtel particulier des Bettencourt et dévoilées par Mediapart (à écouter ci-dessous) campe précisément une Liliane Bettencourt un peu perdue, signant le 4 mars 2010, sous la dictée de son gestionnaire de fortune et homme de confiance, trois chèques. L'un en faveur de Valérie Pécresse, alors candidate aux élections régionales en Ile-de-France, l'autre en faveur d'Eric Woerth et le troisième à Nicolas Sarkozy lui-même, si l'on en croit les termes de la discussion surprise par le dictaphone espion du maître d'hôtel.

Or, s'agissant de ces trois chèques, aucune réponse claire n'a été livrée par les personnes concernées (Nicolas Sarkozy, Eric Woerth, Valérie Pécresse, Patrice de Maistre) sur des points pourtant simples: par exemple le montant des chèques et leur ordre exact. A cela s'ajoute, depuis le 6 juillet, les déclarations de Claire Thibout, l'ancienne comptable des Bettencourt, à la police, à Mediapart, puis de nouveau à la police, concernant un versement début 2007 de 150.000 euros en espèces à Eric Woerth (par l'entremise de Patrice de Maistre, toujours) dans le but de financer, illégalement si les faits étaient avérés, la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy.

Dans son témoignage à Mediapart, à l'origine d'un cataclysme politico-financier d'une rare ampleur, la comptable avait aussi indiqué que Nicolas Sarkozy, à l'époque où il était maire de Neuilly (1983-2002), avait pu profiter, comme d'autres hommes politiques, d'enveloppes en espèces provenant des Bettencourt. Des propos confirmés le matin même de leur publication sur les ondes de France Inter, France Info et RMC par son avocat, avant d'être atténués par l'ancienne comptable le lendemain devant les policiers en ces termes: «J'ai déjà dit précédemment que des politiques venaient, dont M. Sarkozy, et qu'il y avait des enveloppes qui circulaient dans la maison et j'ai évoqué que M. Sarkozy pouvait faire partie des personnes qui recevaient des enveloppes.»

Lundi soir, sur France 2, Nicolas Sarkozy a dit qu'une telle accusation était une «honte».

 

Fabrice Arfi et Fabrice Lhomme (Mediapart, 13.07.2010)



14/07/2010
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